L’emploi, condition de l’autonomie financière, plus cruciale encore pour les femmes

Tribune parue le 25 octobre 2025 dans Le Monde.
Par Christiane Marty.

Lors de son discours de politique générale, le premier ministre Sébastien Lecornu a déclaré le 14 octobre inscrire au rang des urgences une amélioration concernant les retraites des femmes. Rien de nouveau, cette préoccupation est affichée depuis la réforme Touraine de 2014… et ne se traduit que par des mesures dérisoires. C’est encore le cas aujourd’hui, alors que l’urgence est toujours là. Rappelons que la pension moyenne des femmes ne représente que 62 % de celle des hommes, que le taux de pauvreté des personnes retraitées ne cesse d’augmenter depuis 2017 particulièrement celui des femmes, atteignant même 25 % pour les femmes divorcées retraitées. Situation que le gel annoncé des pensions va encore aggraver.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 prévoit pour les mères un changement du calcul de la pension du régime général. Au lieu de prendre pour base du calcul la moyenne des 25 meilleures années de salaire, ce sera les 24 meilleures années pour les mères d’un enfant et les 23 meilleures pour les mères de deux enfants et plus. Remarquons tout d’abord que prévoir une mesure qui bénéficiera aux mères mais non aux pères signifie inscrire en dur dans le système de retraites une pérennisation des rôles différents pour les femmes et les hommes vis-à-vis de la prise en charge des enfants. Ce qui s’oppose aux aspirations à l’égalité. Il est possible que ce soit de plus contraire aux directives européennes sur l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes.

Réduire le nombre d’années pris en compte pour les meilleurs salaires fait légèrement augmenter la pension. Selon ce qui est indiqué, 50 % des femmes devraient en bénéficier dès 2026. Mais le gain sera probablement très faible, car cette mesure corrige très peu la pénalisation qui pèse sur les carrières courtes. Actuellement, la pension est calculée au prorata de la durée de carrière, avec une décote qui réduit encore les montants pour les parcours incomplets. Cette double pénalisation, reconnue par le rapport Delevoye en 2019, n’est pas corrigée par la mesure prévue. Supprimer la décote serait le vrai progrès.

D’autre part, prendre le même nombre d’années de salaire (25) pour tous, quelle que soit la durée de carrière, pénalise les carrières courtes, car moins de « mauvaises années » sont éliminées du calcul. Or, les femmes ont en moyenne des carrières cotisées plus courtes que les hommes. Supprimer seulement une ou deux années supplémentaires, et pour les seules femmes avec enfants, ne corrige pas la discrimination qui touche toutes les carrières courtes. Cela ne garantit donc pas l’équité.

Le principe devrait être de retenir la même proportion de meilleures années, quelle que soit la durée de carrière, et d’éliminer ainsi proportionnellement les pires années. Plutôt que de fixer un nombre d’années en valeur absolue, on pourrait le calculer par rapport à la durée de carrière effectuée. Par exemple, sélectionner 25 meilleures années sur une carrière complète de 42 ans revient à garder 60 % des années. Pour une personne ayant une carrière cotisée de 30 ans, ce qui est la moyenne pour les femmes nées en 1955, on ne retiendrait que 18 années (60 % de 30), bien moins que les 23 ou 24 années prévues.

Certes le coût de cette mesure sera plus élevé que celle envisagée… parce qu’elle apportera une amélioration réelle. Mais l’enjeu pour les femmes se situe aussi, surtout, en amont de la retraite. En plus d’être une exigence démocratique, l’égalité des femmes et des hommes en matière de salaires comme en matière de taux d’emploi serait très bénéfique pour le financement des retraites et plus largement de la Sécurité sociale : elle apporterait un supplément conséquent de recettes en cotisations sociales et CSG.

L’emploi est la condition de l’autonomie financière, plus cruciale encore pour les femmes. Or nombreuses sont celles qui souhaitent travailler mais doivent se retirer de l’emploi ou passer à temps partiel du fait du manque de solutions pour l’accueil des jeunes enfants ; du fait de la persistance des stéréotypes sexués qui leur attribuent la charge des enfants (ce que la mesure prévue perpétuerait), du fait de congés paternels et parentaux mal adaptés qui n’incitent pas à l’investissement égalitaire des deux parents auprès des enfants. À l’heure où est agité l’argument démographique de la baisse du ratio population active/retraitée, il serait cohérent de mener enfin une politique volontariste pour permettre aux femmes d’accéder à un emploi, à temps complet, dans de bonnes conditions, de revaloriser les professions à dominante féminine et plus largement de repenser le sens du travail en lien avec l’urgence sociale et écologique.

Christiane Marty est ingénieure-chercheuse, membre de la Fondation Copernic, autrice de L’enjeu féministe des retraites (La Dispute, 2023)

2 réponses

  1. […] Christiane MartyChristiane Marty est ingénieure-chercheuse, membre de la Fondation Copernic, autrice de L’enjeu féministe des retraites (La Dispute, 2023)Tribune parue le 25 octobre 2025 dans Le Mondehttps://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/25/l-emploi-est-la-condition-de-l-autonomie-financiere-plus-cruciale-encore-pour-les-femmes_6649628_3232.htmlhttps://genreetaltermondialisme.fr/2025/10/26/lemploi-condition-de-lautonomie-financiere-plus-crucia… […]

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